UN QUOTIDIEN BIEN BANAL
Point de vue de Danièle Weiss, 13 décembre 2016
Point de vue de Danièle Weiss, 13 décembre 2016
Un quotidien bien banal
Deux films récents ont retenu mon attention pour évoquer l’importance de l’éthique de la responsabilité : l’un est le film qui a obtenu la palme d’or au festival de Cannes 2016 : Moi, Daniel Blake. L’autre est le dernier film des frères Dardenne : la fille inconnue.
Moi, Daniel Blake : Film de Ken Loach.
Le titre nous surprend : un nom propre, désignant une couleur, la couleur noire. Le moi devant ce nom insiste comme une revendication, une clameur.
Daniel Blake est un menuisier de 59 ans, un manuel, victime d’un accident cardiaque. En congé de maladie, il ne peut reprendre ce travail et souhaite recevoir une indemnité de sa caisse d’assurance. Celle-ci le soumet à un questionnaire, le même pour tous et inadapté pour quelqu’un qui n’est pas en fauteuil roulant ! Il peut donc travailler. Sa singularité n’est pas prise en compte par l’administration.
Etant considéré comme valide, on l’envoie dans une autre administration, genre Pole-emploi, dont les salariés sont des employés du privé. Il doit s’inscrire au chômage et en recherche d’emploi. D’autres difficulté surgissent : Daniel ne sait pas se servir d’un ordinateur. C’est un handicap très sérieux dans notre société. Personne ne peut remplir à sa place les informations personnelles. Les employés ne sont pas là pour ça et n’ont pas de temps à perdre! De plus, il n’y aucune possibilité de concertation entre la première et la deuxième administration. Il est balloté de l’une à l’autre.
Ce système bureaucratique Kafkaïen est bien décrit ainsi que les réponses automatiques des employés, vides de sens par rapport à la situation.
Dans cette administration, il rencontre Kathie, une femme seule avec ses 2 enfants : elle exprime sa détresse de ne pouvoir être reçue. Il lui manque un papier, alors qu’elle vient de loin : elle a absolument besoin de travailler pour nourrir sa famille et payer son loyer. Rien n’y fait : les salariés n’entendent pas et la congédie. Daniel prend sa défense et se fait exclure de l’agence. Une amitié va commencer entre Kathie et Daniel. Celui-ci fait tout son possible pour l’aider, elle et ses enfants.
Le film montre les étapes de la déchéance de la jeune femme : Kathie tombe d’inanition dans une banque alimentaire où des bénévoles lui remplissent un panier de nourriture. Un autre jour, elle vole dans un grand magasin ; elle échappe à la prison, grâce à la clémence d’un chef de service. Un employé lui laisse son téléphone, en cas de besoin ; c’est un réseau de prostitution. Le cercle vicieux de la misère est bien décrit ici, car comment s’en sortir autrement ? Une scène est aussi particulièrement éloquente sur l’humiliation que subissent les deux héros du film, c’est quand Daniel se retrouve face à Kathie chez les prostituées !
Daniel, dans un acte de révolte désespéré contre l’administration, écrit son nom sur les murs du lieu : « Moi, Daniel Blake…Je. … » Il insiste sur sa singularité et sa responsabilité d’être vivant : « Moi, Daniel Blake, » contre la langue administrative réduite à un code. En inscrivant son nom sur le mur, Daniel Blake souligne la responsabilité de son acte. Des passants le soutiennent. La police l’emmène en garde à vue…Une fois sorti de prison, il se tue.
On reproche parfois à Ken Loach d’être dans une vision du social trop pessimiste, trop noir, comme le nom de son héros, en montrant des itinéraires particuliers de descente aux enfers, mais ce qui nous intéresse ici en tant que psychosociologue, c’est qu’il démontre les conséquences de l’univers néolibérale, techniciste et bureaucratique de nos sociétés sur la vie des laissés pour compte.
Le film : La fille inconnue, le dernier film des frères Dardenne :
Un coup de sonnette retentit 1 heure après la fin des consultations. Jenny Davin, jeune médecin généraliste fait un remplacement dans un cabinet situé en banlieue d’une ville, avant sa nomination dans un dispensaire au centre ville. Elle est avec un jeune stagiaire qui s’étonne de sa décision de fermeture face à cet appel : il y a peut-être urgence. Jenny avouera plus tard qu’elle souhaitait montrer que c’est elle qui a le pouvoir de décider, que la décision lui appartient, de la même façon qu’il ne faut pas se montrer trop sensible, dit elle au jeune homme. Cependant son attitude change quand elle apprend que la jeune femme est retrouvée morte et qu’elle a peut-être été assassinée : elle se sent responsable, et veut retrouver le nom de la jeune femme, inconnu, afin de lui offrir une sépulture, digne.
Dans sa recherche, elle se heurte à l’enquête menée par le commissaire qui se sert d’indics, trafiquants de drogue et de prostitutions, pour connaître « la vérité ». Elle est gênante avec ses questions. Il ne veut plus qu’elle se mêle de cette histoire.
Quête personnelle et enquête s’opposent ici. Un nom est enfin apporté, mais c’est un faux nom que la jeune morte de 18 ans portait comme prostituée. Jenny ne connaitra le vrai nom de la jeune femme qu’à la fin du film, quand la sœur ainée vient lui parler et avouer sa part de responsabilité dans la mort de cette jeune sœur.
Les responsabilités sont multiples dans l’histoire de ce drame, comme dans le film de Ken Loach.
Danièle Weiss.