Ci-dessous, figurent les mots préparés pour honorer la mémoire de notre amie et collègue Danièle WEISS,
le jour de ses obsèques, le mercredi 8 décembre, au cimetière du Père-Lachaise, en présence de ses neveux, des familles de ses neveux et d’amies et amis dont celles et ceux du CIRFIP.
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« Comme c’est en tant que président actuel du CIRFIP, le centre international de recherche, de formation et d’intervention en psychosociologie que la parole m’est confiée, je vais dire quelques mots qui, à mes yeux, font sens et éclairent le lien que Danièle WEISS a entretenu avec la psychosociologie, alors qu’elle fait partie de la deuxième génération des psychosociologues francophones, qui suit de peu la première.
J’exprime le regret de nombre des membres du CIRFIP qui n’ont pu se libérer pour être présents ce jour, pour Danièle WEISS ; plusieurs collègues et ami.e.s ont envoyé quelques mots que je vous remettrai, à vous ses neveux.
Nous vous remercions, vous ses neveux, Pierre et Renaud WEISS, et vos familles au travers vous, pour nous avoir alertés et informés de la disparition subite de Danièle Weiss, votre tante, notre amie, notre collègue.
Danièle WEISS se faisait de plus en plus discrète depuis quelques mois. Aussi, nous étions inquiets. Antérieurement affaiblie mais victorieuse après des années de lutte contre la maladie, Danièle Weiss restait bien présente avec nous au CIRFIP, notamment par la Rubrique Point de vue, qu’elle a créée sur le Site du CIRFIP et qu’elle animait de ses écrits sur l’actualité, tout en stimulant ceux des autres membres.
Comme les réponses à la question de savoir qu’est-ce que la psychosociologie sont multiples et jamais closes, je me limiterai à une dimension de celle-ci.
Discipline récente des savoirs, au carrefour de la psychologie, de la sociologie et de l’anthropologie, ses pionniers étaient animés de convictions démocratiques. Kurt Lewin, le premier, a fui l’Allemagne nazie dans les années 1932 – 1933, comme bien d‘autres intellectuels allemands qui, bien intégrés dans la société de leur époque, ont bien perçu l’irrésistible montée de la terreur appelée par l’idéologie de l’extermination. Émigré aux États-Unis d’Amérique du Nord, Kurt Lewin a inventé des dispositifs expérimentaux de groupe pour prouver scientifiquement que des modalités démocratiques suscitant participation et coopération des membres d’un même groupe, entraînaient une production et des résultats bien plus intéressants que la modalité du laisser-faire ou celle de l’autoritarisme.
C’est une discipline des savoirs en sciences humaines qui cherche à découvrir et à théoriser comment fonctionnent le psychique et le social dans la psyché, comment interagissons-nous en groupe, comment ça circule entre l’individu, le groupe et la société. Peut-être s’agit-il de prendre appui sur le concept de socius. Selon Jean-Pierre VERNANT, anthropologue et helléniste, grand et discret résistant, le socius serait, cette part de soi qui est à la fois en soi et hors de soi, où s’articule le soi et le non-soi, où il y a quelque-chose de nous et de l’autre, qui nous constitue et qui constitue le Nous aussi ; ce qui fait de nous, si nous le voulons, un être de relation, sensible aux éprouvés d’autrui, et aux nôtres. Ce concept est-il une fiction ? Peut-être, en attendant, il nous fait travailler.
Une discipline des savoirs qui veut faire science, cherche à découvrir et à formaliser un système causalité, qui, une fois mis au jour et révélé, devenu visible, serait alors et nous humaniserait, toutes et tous, davantage. Est-ce une idéalisation ?
L’illusion psychosociologique fort stimulante de nos débuts, que nous partagions, a été de croire, qu’en découvrant un nouveau système de causalité, la rationalité de nos contemporains s’en saisirait, s’en trouverait nécessairement augmentée et ferait de nous des êtres de relation, de progrès, de raison et de capacité de rêverie n’ayant pas un impératif besoin d’exclure les autres de l’humanité, pour pouvoir se sentir exister.
La psychosociologie se diffuse notamment via des sessions de formation, que Danièle Weiss a animé. Ces rencontres toujours imprévisibles stimulent généralement les psychosociologues. Ainsi, au cours de l’une d’elles, que j’ai animées, une nouvelle définition de la liberté a émergé pour moi. Pour honorer la mémoire de Danièle Weiss, je la partage aujourd’hui avec vous.
« La liberté de l’une et de l’un d’entre nous augmente et existe vraiment quand celle de l’autre et des autres, de tous les autres augmente aussi, pendant que nous sommes heureux ensemble, de près ou de loin, d’être en mesure de l’éprouver et de le constater ».
D’une certaine façon, on peut dire que toutes les activités psychosociologiques, que Danièle WEISS a animées étaient soutenues par cette ambition émancipatrice, en s’appuyant sur sa propre expérience de vie et son histoire de famille, pas seulement sur les travaux des pionniers de la psychosociologie. Elle a développé cette ambition dans les milieux qu’on appelle l’éducation populaire, et dans l’éducation nationale, l’académie de Versailles, plus particulièrement. C’est dans ce cadre que nous nous sommes croisés, il y a longtemps, puis rencontrés.
Pour que les groupes de travail et les équipes fonctionnent mieux, sur le plan de la qualité des relations, et sur le plan de la qualité des résultats, la psychosociologie propose des groupes de formation à la conduite coopérative des groupes de travail et des réunions… On y apprend notamment à ne pas avoir peur des autres et des groupes. Danièle Weiss a œuvré longtemps dans cette direction, notamment dans la période d’ouverture obligée de l’Éducation nationale et de la création de la formation continue des professeurs et des autres professionnels des collèges et des lycées, instituée sous le ministère Alain Savary en 1981-82. À cette époque, et avec ce ministre, l’administration centrale de l’Éducation Nationale a été contrainte d’admettre que la maîtrise des savoirs enseignés dans les établissements scolaires n’était pas suffisante pour devenir professeur.
Danièle Weiss de sa place, a bataillé pour que des formations psychosociologiques aient lieu. Elle a fait partie de celles et ceux qui ont réussi de l’intérieur à faire bouger le système et ses acteurs. Nous pouvons lui rendre hommage pour cette part de son engagement, parmi les autres, dont je peux témoigner.
La Psychosociologie a commencé à poindre alors que s’installait progressivement une longue nuit en Europe et que le système totalitaire Nazi organisait avec Auschwitz, la fin de l’Époque Moderne ou Ère des Lumières, après les dévastations de la première guerre mondiale, provoquée par les rivalités et les montées des nationalismes et des conquêtes coloniales pour annexer de nouveaux territoires, et soumettre à cette fin des populations entières. Nous n’en sommes pas encore sortis.
Simultanément, quoiqu’on en dise, les idéaux démocratiques sont devenus partagés par de plus grands nombres de citoyens dans différents pays du monde. Les combats sont loin d’être gagnés. Nous avons encore beaucoup à faire.
Toutefois, quand je vois le nombre des jeunes que je rencontre et qui appartiennent aux nouvelles générations qui ont adopté un nouveau mode de vie pour modifier le cours des choses à leur niveau, sans attendre de grandes décisions, je me sens bien rassuré.
Je vous remercie de votre écoute.
Le 8 décembre 2021,
André Sirota
Ci-dessous : la gerbe de fleurs envoyée au Père Lachaise par ses collègues et ami.e.s du CIRFIP.