DANS L’OISE, LA PHILO DERRIÈRE LES BARREAUX
Point de vue de Frédérique Roussel, 29 mars 2018
Point de vue de Frédérique Roussel, 29 mars 2018
Viviane Guerre a été membre du Cirfip pendant plusieurs années dés sa création avant de déménager à Crépy en Valois. Nous la retrouvons aussi lors de manifestations quand son emploi du temps le lui permet. Vous trouverez ci-joint un article de Libération paru en Mars sur son implication dans les prisons. Danièle Weiss
Rencontres. Dans le cadre de l’association les Petits Socratiques, la psychologue Viviane Guerre propose des réflexions de groupe parmi les détenus.
Son cabinet se situe dans une petite rue pavée bordée d’anciens hôtels particuliers, à Crépy-en-Valois (Oise). Une patiente sort à l’instant. A la différence de l’humidité froide de ce sombre matin de mars, l’atmosphère intérieure enveloppe dans une douce chaleur ; de celle créée pour réchauffer les âmes et calmer les angoisses. La maîtresse du lieu propose une infusion au miel et gingembre, écarte quelques tentures, avant d’inviter à s’asseoir dans le vaste fauteuil dévolu à la clientèle.
Viviane Guerre, 59 ans, psychologue à la ville, consacre aussi une partie de son temps à l’association les Petits Socratiques présidée par Maurice Labasque, coup de cœur de Libé des Trophées Caractères. Elle ne se souvient pas précisément quand elle a assisté à son premier café philo, rencontres qui se tiennent une fois par mois dans des bars de Crépy-en-Valois, Compiègne, Amiens ou Tergnier. C’était il y a douze ou treize ans. Elle se souvient d’avoir craint de n’y croiser que des seniors confits et des bourgeois bon teint ; or elle a accroché tout de suite au concept.
«Corps abîmés»
Peu après son arrivée dans l’association, les Petits Socratiques ont élargi leur périmètre et pénétré le milieu carcéral. D’abord à la vieille maison d’arrêt de Compiègne, définitivement close en décembre 2015. Puis dans les centres pénitentiaires récents aux «très hauts murs», la centrale de Liancourt ouverte en 2004, et la maison d’arrêt de Beauvais inaugurée en 2015. La fréquence des cafés philo intramuros est mensuelle, un pour les hommes et un pour les femmes à Beauvais ; un pour les hommes et deux pour les mineurs à Liancourt.
Viviane comprise, ils sont 25 animateurs bénévoles à s’occuper des cafés philo, dont une quinzaine en prison. La majorité est composée de retraités, anciens infirmiers, profs, chirurgien… la psychologue en activité se libère une après-midi quand il s’agit de se rendre à Liancourt, à une heure de voiture. Ils viennent toujours à deux intervenants, avec du café et des gâteaux, de quoi accueillir en douceur la douzaine de détenus maximum qui se sont inscrits.
«Face à nous, une grande détresse, des corps abîmés, des vécus compliqués. Et c’est un milieu où l’on ne parle pas forcément quand ça ne va pas», dit-elle. Le premier intervenant introduit invariablement la séance avec un texte d’une à deux pages sur un thème défini. Il ne doit pas être trop long et soporifique, mais «beau». «Si on a bien écrit, on est à la hauteur, on touche les cœurs», estime Viviane Guerre. Lors d’un café philo sur le sujet de l’exil, un Tunisien de 30 ans lui a dit que son texte montrait bien la douleur de l’immigré, sans mots horribles. Après l’introduction, le second intervenant organise la prise de parole avec les détenus qui peuvent échanger librement, dans le respect des avis des autres. «Ils sont très intuitifs, disent parfois des choses fulgurantes, en profondeur. Ils sont aux aguets.»
«Peut-on consoler et se consoler ?» a-t-elle proposé comme thème pour une séance au centre pénitentiaire de Beauvais le 16 février : «On dit qu’on est « inconsolable ». Toutefois, nous, on va se consoler soi-même, comme on peut.» Les sujets viennent parfois des détenus. «Un jour, j’ai dit « parlons de violences conjugales ». Cela reste pour moi comme un des plus forts cafés philo.» Quand elle a posé la question «Est-on déterminé par son histoire familiale ?» un détenu lui a dit : «Mon père ne me prenait jamais sur ses genoux. Cela me torture. Il est mort et je ne saurai jamais pourquoi…» Viviane Guerre lui a suggéré : «Il y a parfois des hommes, abusés par un adulte dans leur enfance, qui ne veulent pas prendre de risque avec leurs enfants.» L’adulte à l’esprit sans repos lui a alors déclaré : «Quand je vais sortir, il y aura de la paix dans mon âme.»
Pour chaque thème, Viviane Guerre se plonge dans des livres et se documente. Pour «Faut-il avancer pour reconnaître les choses ou les reconnaître pour avancer ?» elle leur a raconté la malédiction des Atrides. «La malédiction s’arrête quand Oreste dit : « C’est pas lui, c’est moi qui ai tué. » Sinon, cela se poursuit de génération en génération. Si je reconnais que j’aurais dû reconnaître : cela permet de travailler sur la culpabilité et devenir sujet de sa propre histoire.» Certains prisonniers disent que cette petite respiration mensuelle leur apprend à parler davantage, à s’évader pendant une heure et demie.
«Filosophe»
Il n’y a pas de hasard à ce que cette femme énergique, chaleureuse et altruiste consacre une partie de son temps bénévolement à cette sorte de parloir philosophique. «Je me suis toujours intéressée aux défavorisés, davantage aux problèmes sociaux que psychiatriques.» Petite campagnarde grandie pendant vingt ans dans le café-épicerie de ses parents, le commerce-pilier d’une petite commune entre Senlis et Crépy-en-Valois, l’apprentie institutrice a découvert les cours de psychologie à l’Ecole normale de Beauvais. «C’est ça que tu vas faire», s’est-elle alors promis.
Enseignante après Beauvais, elle demande à s’occuper d’enfants en difficulté, en Segpa (section d’enseignement général et professionnel adapté) avec des 15-17 ans à Creil, puis à l’hôpital psychiatrique de Clermont-de-l’Oise. Elle poursuit des études de psychologie à Villetaneuse puis Nanterre, tout en étant comédienne intervenant au théâtre de l’Opprimé d’Augusto Boal. Elle y a rencontré son époux, un passionné du théâtre forum, cette technique participative à base d’improvisations sur des situations d’oppression et de problématiques sociales, qui cofondera l’Arc-en-Ciel Théâtre. Si Viviane Guerre est finalement revenue s’installer en 2005 dans sa terre du Valois après des années d’exiguïté parisienne, c’était pour offrir une belle enfance à sa progéniture.
Peut-on pratiquer la philosophie sans être philosophe ? Viviane Guerre préfère dire qu’elle fait «des cafés psychosociophilo». Qu’elle est «filosophe» avec un «f», «parce qu’on tisse des fils entre les gens». Elle est fermement persuadée que personne n’est condamné à rester ce qu’il est. Et qu’il n’est de bonheur que de faire avancer.