L’INTER-DISCIPLINAIRE ET L’INTER-CULTUREL
Point de vue de Marie-Louise Pellegrin, 7 novembre 2013
Point de vue de Marie-Louise Pellegrin, 7 novembre 2013
La Psychosociologie et la distance critique
On peut s’étonner que les médias, toujours soucieux d’actualité, fassent rarement appel à des psychosociologues. Il semble qu’ils leur préfèrent par exemple des historiens, tel par exemple l’historien médiéviste Patrick Boucheron, plusieurs fois interviewé. Or, qu’écrit-il dans son livre L’Histoire du monde au XVe siècle ? Il nous invite à « penser l’histoire du côté de la Turquie, de l’Océan Indien, de la Chine », en faisant comme s’«ils étaient le centre du monde». Il nous invite donc à nous éloigner de notre propre vision du monde à savoir, à prendre de la « distance ».
Ce que l’on trouve intéressant chez Patrick Boucheron, c’est qu’il questionne les critères, ou catégories langagières, qui nous paraissent évidents en raison de leur familiarité. Il en résulte une distance critique qui lui permet d’ouvrir le champ de la réflexion, ce qui suscite manifestement de l’intérêt
Or nous, les Psychosociologues, qui en appelons si souvent à une dimension critique, prenons-nous toujours de la distance par rapport aux critères ou catégories langagières dont nous faisons habituellement usage ?
La pratique de l’inter-disciplinaire et de ce que l’on désigne comme l’inter-culturel, facilitent-me semble-t-il- l’accès à la dimension critique, ces pratiques invitant justement à « prendre de la distance » par rapport aux catégories langagières qui performent nos discours et nos actes. L’inter-disciplinaire et l’inter-culturel, en effet, loin de signifier seulement croisement, rapprochement ou articulation de différentes disciplines ou cultures, amènent à la recherche des outils d’analyse capables d’identifier et de questionner les critères employés d’habitude,
Distance critique et «inter disciplinaire»
A l’époque où parler en termes de discours et de récit est devenu courant, la relation que la psychosociologie entretient avec les disciplines relevant de la Linguistique apparaît innovante. Cette relation devient cependant problématique car ces disciplines sont relativement peu reconnues parmi les psychosociologues.
Il s’agit, pour commencer, de la pragmatique et du langage en acte à savoir, du langage en train de se faire, en termes donc de ce qu’on appelle l’énonciation vs l’énoncé ou le récit, en usage en Sciences Humaines. Or, cette discipline semble faciliter particulièrement l’approche en termes de distance critique.
Sur le plan de la théorie, parler en termes d’« Actes d’énonciation » permet d’éviter les dangers d’ontologisation ou de substantialisation. Si ces dangers ne sont pas toujours évidents, ils ne sont cependant pas moins pernicieux. En effet, souvent dénoncés, ils se retrouvent toujours dans les discours comme dans les pratiques des psychosociologues, en empêchant toute pensée critique et posant ainsi un véritable problème.
Sur le plan de la pratique, ensuite, parler en termes d’« Actes d’énonciation », de « signifiant » (et non pas de « signifié »), en termes de « force » d’un « acte » –d’énonciation»- (et non pas de son contenu), évite d’assumer des positions ou des postures avant de les avoir interrogées et discutées.
Il s’agit encore des « Subalternes Studies», du « Gender» et du « Post-colonial. qui, peut-être plus que d’autres disciplines, questionnent la « naturalité » des événements et concourent par là à interroger les critères en usage, à savoir les catégories énonciatives du langage «ordinaire », et surtout « scientifique » que l’habitude nous présente comme universelles.
Si ces disciplines aident à prendre une distance critique, d’autres sont, certes, à rappeler dont -notamment- l’anthropologie ou la psychanalyse, sans oublier l’Histoire. Cette dernière intéresse tout autant les psychosociologues en ce que, en raison de l’emploi des notions de temporalité tout autant que d’espace, aide à mettre en question les catégories énonciatives de l’essentialisme et, en appelant au décentrement, interroge, elle aussi, les catégories langagières européo-centrées habituellement employées.
Les neurosciences, comme la théorie quantique, pourraient apporter, par ailleurs, une contribution notable à la psychosociologie, en ce qu’elles introduisent la controverse au cœur même de la discussion que ces sciences peuvent susciter.
C’est pourquoi la confrontation avec certaines de ces disciplines semble indispensable à la pratique et au métier des psychosociologues
Distance critique et «Inter-culturel
Il ne s’agit toutefois pas seulement de disciplines mais aussi de populations venant d’horizons diversifiés, dont la spécificité culturelle se révèle particulièrement intéressante. Loin de constituer un problème, leur diversité agit pour les psychosociologues comme un miroir ou comme un «analyseur », révélateur de notre façon habituelle de penser/ dire/ faire. Le langage de ces populations autres nous invite en effet à questionner les critères, ou catégories énonciatives, de notre langage habituel
Or, l’interrogation portée sur nos propres critères, nous amenant à ne plus les considérer comme « évidents », voire universels, concourt à :
– mettre en perspective une « vision du monde » habituellement auto-centrée
– mettre en évidence les valeurs et les principes énonciatifs de cultures « autres »
– pratiquer ainsi l’ouverture envers ces « autres », ce que l’on appelle l’«éthique ».
En guise de conclusion
Qu’il s’agisse de pragmatique et de langage en acte, de « Gender» ou de « Post-colonial », d’anthropologie et/ou de psychanalyse, ou qu’il s’agisse de populations autres, proches ou éloignées, il semble bien que la rencontre avec d’autres disciplines et la confrontation avec d’autres cultures s’avèrent tout à fait nécessaire.
Marie-Louise Pellegrin, le 7 novembre 2013