Quel risque encourt-on ou fait-on courir à autrui quand on l’approche ou on le nomme ?
Alors que je me posais cette question, bien des pensées me sont venues à l’esprit et puis se sont écrites devant moi sur un papier, l’une après l’autre. Je prends maintenant le risque de vous les offrir pour commencer cette année 2021.
Danièle WEISS, janvier 2021
«
Est-on une personne à risque ou bien quelqu’un qui fait courir des risques aux autres, par exemple, est-on coupable d’occuper plus de lits dans les hôpitaux en période de pandémie parce que l’on a un âge certain ? La nomination : « vieux » qui englobe plus ou moins les personnes à risque, n’est guère utilisée. Autrefois, on disait plutôt « les anciens ». Très respectés encore récemment dans les tribus et chez les peuples dits « sans histoire » par des anthropologues en chambre. Actuellement en occident, on dit aussi, personnes âgées.
Si vous avez attient un certain âge, comment aimez-vous être désigné.e ?
Qu’est-ce qu’une personne à risque en période de pandémie ? Si j’ai bien compris, ce sont toutes les personnes qui, indépendamment de l’âge, sont déjà atteintes de différentes maladies, fabricant de la comorbidité ; la vieillesse n’est certes pas une maladie, toutefois, le vieux et la vieille sont plus fragiles parce qu’ils n’ont plus vingt ans. Ils ne sont donc plus « immortels » comme à l’adolescence…
Qu’en est-il du nom de famille ou du prénom ? Que représentent-ils pour chacun d’entre nous ? Font-ils courir un risque ? Cette question me rappelle que dans une classe de collège, un enfant avait pour prénom Jean à l’école, alors qu’on l’appelait Karim à la maison, sur décision de ses parents. Et, cet élève remuait sa classe et parfois le collège entier. Plus tard, il eut des difficultés à trouver un emploi vu son patronyme dans les années 1970.
D’où viennent nos noms ? Qu’appelle t-on nom propre ? Celui-ci est constitué du prénom et du nom patronymique. Alors que le prénom nous est donné, le nom patronymique nous est transmis. Le nom désigne et dit d’où l’on vient.
En France, l’origine des noms de famille, de la paysannerie au moyen âge français du 11ème siècle, est souvent liée à un trait du corps : « Le brun », « Le roux », « Le bossu ». Pour la noblesse, il s’agissait davantage d’un nom de lieu : celui du château. Puis on vit apparaître dans la paysannerie, où le surnom du chef de famille servait jusqu’alors à la reconnaissance, le nom par exemple de l’habitat ou du métier: « Ruisseau », « Meunier », ou boulanger dans la ville, sur des registres tenus par l’église. Au XIXème siècle, en Europe et Europe centrale, les juifs, désignés par le surnom, eurent des noms de famille : noms de couleurs, de fleurs, d’animaux… Une forme de reconnaissance, comme citoyens, même s’ils habitaient en dehors des centres villes, voire des zones assignées aux Juifs, appelées zone de résidence, prémices des ghettos.
Le nom des femmes mariées varie selon les pays. En France, une femme qui se marie peut garder depuis peu son nom patronymique ou son nom de famille d’origine, le nom du mari est un nom d’usage. Les enfants peuvent avoir les patronymes de leurs deux parents accolés avec un tiret. La façon dont nous sommes nommés est donc un acte d’inscription et de prescription d’être dans une société, dans une époque, dans une famille et nous interroge : à qui me suis-je identifié.e ? Quelle est ma part d’autonomie dans le chemin que je parcours à partir de mes identifications ?
Dans Psychologie des masses et analyse du moi, à la suite de Gustave Le Bon, Freud soutient que, dans une foule, l’amour pour le chef, conduit l’individu en foule à s’identifier au chef, par une identification verticale ainsi qu’aux autres de cette même foule, par un autre processus, celui d’une identification horizontale, ce qui alimente le lien entre les membres d’une même foule. Cette théorisation prend appui sur une période datée historiquement, où, souvent, les chefs structuraient autour d’eux toute une nation, en marginalisant des groupes considérés comme ennemis ou indésirables.
Dans la période actuelle de la fin du 20e siècle et du début du 21e, l’aveuglement amoureux pour le chef n’opère plus aussi bien qu’antérieurement. Après les totalitarismes, nombre de gens sont suspicieux à l’égard des chefs, mais surtout le désir d’égalité qui va jusqu’à la volonté d’un égalitarisme radical envahit certains groupes. Dans le mouvement des « Gilets jaunes » en 2018-19, on a pu constater le refus de toute représentation centralisée parmi eux, et une défiance majeure à l’égard des autorités publiques d’État.
Peut-il exister un groupe, une association, aux liens tenaces à l’échelle d’un pays ? Cherche-t-on à entrer en communication avec des personnes réelles que l’on connaît ? La pandémie actuelle augmente les difficultés et on espère que cela ne laissera pas trop de traces.
Est-ce qu’un groupe peut durer sans liens sociaux et intersubjectifs, sans un double mouvement identificatoire, horizontal et vertical ? Ce dernier étant représenté par nos institutions et nos lois communes.
Dans les réseaux sociaux, l’horizontalité est la règle, ainsi que l’anonymat. On ignore qui est vraiment l’auteur d’un propos car il est possible de se désigner par un avatar. Hormis ses vrais amis que l’on connaît, il y a des foules « d’amis » que l’on ne connaît pas et que l’on ne connaîtra jamais. Mais « on » est capable d’envoyer pourtant des : « Selfies », autrement dit des images de soi fabriquées ou des vidéos que l’on a aimées, accompagnées de mots simples, rapides. Donc : Il s’agit d’être vu et le langage perd de sa complexité. En réponse, on reçoit des « likes », des petites figures. De la même façon, « on » simule la situation de celles et ceux qui se produisent sur les plateaux de télévision afin d’être vu d’un maximum de gens, d’augmenter son audimat. D’un autre côté, la télévision, internet et les réseaux, amènent vers un possible enrichissement des connaissances ou un appel à plus de réflexivité. Les réseaux sociaux ont permis la diffusion du « printemps arabe », même s’il a été de courte durée. On déplore à contrario, la multiplication des fausses informations, appelées « fake news ». Des opinions, sur « face book » » ou twitter, dont la lecture influence, croit-on, les abonnés. Trump, qui vient du marketing et de la téléréalité, a écrit sur twitter selon des sources reconnues, environ 20 mensonges par jour, avant que l’on ne supprime son adresse.
Il s’ensuit de nos propos sur la période actuelle du point de vue sociétale, une fragmentation au sein des populations. Le pays où l’on vit ne semble plus faire office de contenant dans la mondialisation actuelle et les gouvernements démocratiques doivent affronter de lourdes tentations autoritaires, appelées aussi populistes s’appuyant soi-disant sur le peuple, avec des fragments anti-démocratiques. Nous avons vu le Capitole envahi par les « Boys » encouragés par Trump. Nous avons vu la déforestation au Brésil, présidé par un malfaisant d’extrême droite nommé Bolsonaro. Nous voyons l’Inde avec à sa tête, un nationaliste nommé Modi. Nos oreilles entendent des bribes de paroles prononcées par Erdogan, figure très autoritaire en Turquie qui tient la dragée haute aux Européens. On pense aussi à Poutine, le nouveau Tsar de Russie. Dans l’Union Européenne même, nous avons des gouvernants dits illibéraux, avec la Pologne et la Hongrie.
La pandémie du Covid 19 dont la trajectoire échappe aux scientifiques augmente l’incertitude et l’angoisse de chacun. Cette crise expose les pays à des difficultés économiques, sociales et psychologiques sans précédent. Cependant, grâce à la recherche et aux progrès de la science, nous commençons à disposer de vaccins, aux effets non durables toutefois. Mais le monde n’en fabrique pas assez pour que la vaccination progresse plus vite que la propagation du virus.
Malgré l’isolement actuel auquel nous renvoient les mesures sanitaires, n’aurions-nous plus rien à partager en commun dans nos sociétés ? La dimension d’universalité de tout être humain aurait-elle disparue ?
Comment procéder pour faire société avec les autres dans ce monde multiple mais interdépendant en même temps que fragmenté dans une nature et la biodiversité est mise à mal par nos activités d’exploitation sans limite ?
Voilà mis par écrit un ensemble d’objets de préoccupations majeures, qui pourraient constituer, semble-t-il, des sujets de réflexion pour nous, les psychosociologues, qu’en pensez-vous ?